Amateur de musique depuis tout petit, j’ai aussi des chose à dire sur le sujet… Chroniques de concerts ou coups de coeurs divers, cette rubrique sent les notes.

J’ose supposer que ça peut arriver à tout le monde : il y a des chansons que je suis absolument incapable de supporter.

Quelques décennies d’existence vous permettent parfois de dégager certains enseignements sur vous-même. En l’occurrence, je viens encore d’en faire l’expérience : j’ai un profond, indéfectible et probablement irréparable problème avec les comédies musicales. Au point que le sujet me paraît suffisamment pertinent pour en disserter…

Contexte

Mon amoureuse, c’est son kiff à elle. Notre récente fusion domestique familiale m’a permis de le remarquer quand nous avons déployé côte à côte nos collections de DVD respectives ; dans son apport, il y a un nombre significatifs de films genre “Yentl“, “Les Demoiselles de Rochefort“, “Mamma Mia” et autres classiques du genre. Dans mes propres artefacts, il faut bien reconnaître qu’à la notable exception de “Sweeney Todd” qui fait partie d’un coffret complet Tim Burton, c’est le désert catégorique. Et encore, “Sweeney Todd“, je ne savais même pas que c’en était une et je ne l’avais jamais déballé.

Récemment, nous apprîmes que le sieur Steven Spielberg allait se fendre d’un remake de “West Side Story“. L’original échappait alors à ma culture de visionnage. Suite à un compromis explicite, et sachant qu’elle m’avait accompagné lors du visionnage du récent “Dune”, j’avais par principe acquiescé à l’idée du visionnage de ce nouvel opus. Mais sachant que Véro connaît mes réticences vis à vis du genre, elle m’a très altruistement proposé de visionner le WSS de 1961 avant, histoire d’être sûr que je survivrais à une projection grand écran. Dans ma tête, sachant que sous son influence culturelle, j’avais déjà survécu sans effets secondaires à “Singing in the Rain” (j’en avais d’ailleurs livré mes impressions ici même), je m’était dit “allons-y”… Et donc hier soir nous avons entamé le récit musical de l’histoire des Jets et des Sharks….

30 minutes. C’est tout ce que j’ai pu en supporter. J’en ai attrapé des crampes. Je ne savais plus comment me positionner dans l’immense canapé. Je ressentais une oppression à chaque note, à chaque ballet de rue. Bravement, Véro apportait tous les arguments du monde pour me décrire la qualité de l’oeuvre, mais pas un n’arrivait à faire mouche. J’en suis même venu à me dire intérieurement que je préférais aller chez le dentiste. C’est vous dire à quel point la révulsion PHYSIQUE me broyait. J’ai essayé, je vous jure. J’ai pensé à mon fils cadet qui déteste les champignons, et qui malgré tout se teste régulièrement en y regoûtant encore et encore, pour arriver systématiquement à la même conclusion : il déteste ça, et ça ne s’arrange pas avec l’âge. Ben moi c’est pareil avec les comédies musicales. J’ai beau essayer de me désensibiliser, c’est juste totalement contraire à ma nature.

Je reconnais toutefois des qualités objectives à West Side Story. C’est parfaitement orchestré, c’est bien filmé, je peux totalement comprendre que d’autres adorent ça. Mais pas moi. Je ne peux pas. C’est pire qu’une colonnoscopie. J’ai l’impression d’avoir le cerveau qui se liquéfie….

Pourquoi ça m’agresse autant ?

J’essaie donc de comprendre ce qui provoque en moi un rejet aussi total, absolu. Parce que ça relève à ce stade de la phobie irraisonnée.

Je précise déjà ici que selon ma définition, on doit isoler “comédie musicale” de “film musical”. Dans les films où la musique ou la danse SONT le sujet, non seulement ça passe très bien, mais j’ai vu des choses merveilleuses. “Billy Elliot“, “Les Virtuoses“, “Le Concert” en sont autant d’exemples. “Tenacious D and the Pick of Destiny” ou “Spinal Tap“, c’était juste fabuleux. J’ai aussi adoré des trucs comme “On connaît la chanson” car ça part d’un postulat rigolo… et que ça ne danse pas. Je me souviens aussi, ado, d’avoir beaucoup aimé “Purple Rain” en film, mais c’était Prince, et ça ne dansait pas !!!

Mais….. un film où les protagonistes CHANTENT l’histoire, DANSENT en chorégraphie parfaite dans le décor quotidien comme si tout le monde faisait ça… Argh. Non, c’est pas possible. Ca me paraît inepte. Je n’y survis pas. Ca ne me provoque pas la moindre émotion positive, juste une totale et irrépressible répulsion.

Mes canaux sensoriels privilégiés sont le visuel et le tactile. Je ne suis absolument pas un auditif. C’est entre autre pour ça que bien que je sois très fan des films ou séries en version originale, quand j’en regarde en anglais, même si je peux honnêtement que ma maîtrise de la langue est plutôt bien établie, j’ai BESOIN des sous-titres comme support. La compréhension risque de m’échapper si je dois me focaliser sur le support auditif en même temps que sur l’image. Et au risque de vous surprendre, l’âge venant, même les films en français, je commence parfois à les regarder sous-titrés. Bon, d’accord, parfois c’est parce que l’ambiance familiale sonore ne prête guère à la méditation (surtout quand les kids font la vaisselle à côté). Je n’en ai pas pour autant une mauvaise audition, je suis toujours aussi amateur de musique que je l’ai été, mais je ne suis plus sensoriellement multi-tâches. L’auditif me demande maintenant un effort de focalisation qui a du mal à se voir défié par d’autres types d’information.

Alors une comédie musicale, évidemment, comment voulez-vous que j’adhère ? Ils chantent leur vie, ils la dansent, c’est une véritable AGRESSION sensorielle. Particulièrement quand l’univers musical est à des années-lumière de mes préférences en la matière. Je me sens comme cloué au pilori, lapidé par des informations qui n’ont aucun sens pour moi. C’est un calvaire total.

Plongée dans mes expériences passées

Je n’ai pas souvenir de la moindre culture familiale qui m’ait poussé à découvrir des comédies musicales étant jeune.

Comme tout le monde, j’ai regardé des Disneys de mon époque, et dans mes souvenirs datant d’un âge à un chiffre, je supportais très bien les Aristochats ou le Livre de la Jungle. Mais passé le stade de “Rox et Rouky”, je vous jure que les Disneys ont commencé à se muer pour moi en épreuves épouvantes (pardonnez la redondance explicite d’une telle formule, je sens que je vais tomber à court de métaphores). J’étais heureux quand les magnétoscopes VHS ont fait leur apparition dans le quotidien audiovisuel domestique car je pouvais commencer à PASSER ces passages chantés complètement abscons. Et pour finir j’ai complètement arrêté de regarder les “Disneys qui chantent” parce que ça me faisait l’effet d’un suppositoire conservé dans de l’azote liquide.

Un peu plus récemment (à peine, finalement), je me souviens d’avoir assisté à une première de “La Reine des Neiges” organisée par mon employeur pour une fête de Saint-Nicolas avec les kids, et où seule leur présence m’a empêché le déclenchement d’une embolie gazeuse ou une décompression explosive. Je me disais “survis, gars, tes enfants ont encore besoin de toi“.

D’aussi loin que je puisse me souvenir, je ne peux pas supporter qu’on chante ce qu’on est en train de faire à l’écran, ni les paroles ineptes placardées sur des chorégraphies approximatives, fussent elles réalisées en dessin. Dans mon propre fonctionnement, ça ne va pas, c’est totalement en décalage

Voici quelques-unes de mes expériences les plus terrifiantes, et il est probable que d’autres ne me viennent plus à l’esprit car j’ai dû les occulter totalement pour préserver ma santé mentale.

  • Flashdance“, “Roadhouse“, “Dirty Dancing” : des comédies musicales emblématiques de mon adolescence, du genre de celles auxquelles tu assistais pour faire plaisir aux copines pour lesquelles tu nourrissais parfois des sentiments pas très avouables, mais à la fin desquelles je me sentais plus fatigué qu’au sortir d’une course de fond.
  • Les parapluies de Cherbourg” : je l’ai visionnée un jour pour essayer de me documenter sur le sujet car je pressentais que je devrais expérimenter un match d’impro qui en imposerait le thème. Les “bi-dou-daaaaah” à la Michel Legrand ont quasiment provoqué une crise d’urticaire avec complications
  • Grease“, “The Rockey Horror Picture Show” ou “The Blues Brothers“, j’y ai assisté avec une totale consternation. En voyant ces choses et l’enthousiasme absolu que ça suscitait autour de moi, je me demandais à chaque fois si j’appartenais à la même espèce que le public ciblé, tellement ça me provoquait de convulsions
  • Je suis désolé d’apprendre à certain(e)s de mes ami(e)s de toutes époques que je n’ai pas osé leur dire que regarder “Moulin Rouge” ou “Chicago” jusqu’au bout avaient été à mon échelle un acte d’héroïsme et d’abnégation qui valaient un 11/10 sur l’échelle du renoncement
  • Un jour je tombe sur “Les Misérables” (2012) sur Netflix. Ayant beaucoup aimé les versions Jean Gabin et Lino Ventura, et manquant totalement de contexte, je me suis dit qu’avec Hugh Jackman ça pouvait être intéressant. Ce furent parmi les 5 minutes les plus longues de mon existence avant que je ne me rendre compte que c’était une comédie musicale, et il m’a fallu trois Star Trek d’affilée pour m’en remettre.

Conclusion

Tout cela pour vous donner une idée qui, je vous le martèle, est purement personnelle et n’engage aucun jugement de valeur sur le plaisir que le genre peut procurer à mes contemporains.

Je n’ai rien contre les comédies sentimentales à l’eau de rose, vous savez, quand elles sont bien ficelées, je suis encore assez fan de Harry et Sally, des Nuits Blanches à Seattle ou de tas d’autres exemples du genre. Donc ce n’est pas ce côté-là qui me gêne dans beaucoup de comédies musicales (d’ailleurs, est-il des exemples concrets de vrais “drames musciaux” ?). Non, c’est les gens qui chantent et qui dansent pour raconter une histoire. C’est un mode d’expression qui m’est totalement étranger, totalement inaccessible, et qui me met dans un réel état de souffrance. Je sais, ça peut paraître difficile à comprendre, mais je n’exagère rien.

Dans mon monde personnel, je pourrais passer une semaine d’affilée sans dormir à regarder des fictions, mais regarder UNE comédie musicale, c’est la finale olympique de l’auto-flagellation. C’est perdre un temps dingue que j’aurais pu passer à apprendre par coeur une notice de médicament ou à traduire les minutes du conseil communal de Doische en araméen.

Et franchement, je peux totalement comprendre que vous ne partagiez pas mon sentiment sur le sujet et que vous tentiez de mon convaincre. J’ai été jusqu’à essayer de visionner la bande annonce de La La Land, juste pour voir.
J’ai pratiquement vomi.
Et pas parce que j’étais hyper content.
Je suis perdu pour la cause.

Woodkid au Palais 12


Date : 26/10/2021


Lieu : Palais 12, Heysel, Bruxelles


20 mois... C’est pas loin de 20 mois qu’il a fallu attendre depuis fin janvier 2020 pour revenir enfin à un vrai concert pop, sans masque, avec un vrai public. Ce covid a causé la plus longue interruption depuis une ère qui m’a semblé dater d’une époque où l’on écrivait les chiffres avec des lettres. C’est dire ce sentiment de libération ressenti au soir d’assister à ce concert de Woodkid. L’occasion d’ouvrir cette nouvelle forme d’articles sur mon blog, pour être sûr qu’une mémoire qui n’est pas sans laisser apparaître quelques défaillances dues à l’avancement de mon âge ne me laisse des souvenirs sur le carreau. Profitons-en tant qu’il y en a encore.

Pourquoi Woodkid ?

C’est sûr que les gens qui me connaissent pourraient être surpris car je n’ai sans doute jamais fait état préalablement d’une quelconque adhésion à cet artiste français avant cette date. C’est en fait une initiative de mon amoureuse qui, travaillant comme bénévole au Festival de Ronquière, l’a vu performer au mois d’août 2021, a été subjuguée, et a décidé de m’en faire profiter. Je dois reconnaître que mon emballement était moyen, n’ayant jamais eu l’occasion d’être confronté à son répertoire, mais j’y suis allé en confiance.

Histoire de me mettre quand même dans l’ambiance, le jour même, je me suis quand même décider à écouter un peu de quoi ça causait. Trois albums à ce jour mentionnés par Spotify, avec débuts en 2013, ça pouvait expliquer que mes explorations n’aient pas eu l’occasion de croiser le chemin de ce Yoann Lemoine.

Evidemment, le premier morceau que j’écoute, c’est “Iron“, et immédiatement je reconnais l’intro, étant donné qu’elle sert de générique depuis de longues années à l’émission “Un jour dans l’histoire” sur la Première. Je ne peux m’empêcher de rigoler en me demandant si Woodkid va me raconter en musique des histoires sur les années de crèche de Napoléon au CPAS d’Ajaccio, sur les rapports entre les Templiers dissidents et les anti-vax de la fin du 19ème siècle ou sur la thèse de doctorat de Marie-Antoinette sur les différences fondamentales entre cougnous, cougnolles, coquilles , bonhommes ou Jésus..

Mon écoute est un peu distraite mais plutôt positive. J’y distingue une combinaison musique électro et d’instruments classiques, une voix plutôt grave comme j’aime bien, et pour ce que j’écoute, une forme de mélancolie un peu sombre qui correspond assez bien à une partie de mes goûts musicaux. Toutefois, je dois reconnaître qu’à part “Iron”, même dans les morceaux qui sont les plus écoutés, je n’en reconnais absolument aucun. Bon. Soit. Ce sera la découverte. Je me rends également compte qu’il est très rare que j’aie assisté à des concerts d’une ampleur significative en ne connaissant pratiquement pas l’artiste. (Le dernier devait être Eliott Murphy au Spirit of 66). Soit. Ce sera “La découverte ou l’ignorance”, comme chantait Tri Yann.

Début du concert

Awir Leon

Awir Leon

A l’arrivée au Palais 12, on sent quand même qu’on n’est pas encore revenu dans le monde d’ “avant”. Une file indienne serpente avant l’entrée pour vérifier les Covid Safe Tickets, mais malgré tout, on sent que ça devient ancré car ça défile assez rapidement. Et enlever son masque après le passage des contrôles, c’est évident, ça fait du bien.

La première partie est assurée par un certain Awir Leon. Encore totalement inconnu à mon répertoire. Le bonhomme est seul sur scène avec son clavier qui fait beaucoup de bruit. Je ne m’étendrai pas trop car j’ai vraiment eu du mal à m’immerger dans son électro solitaire minimaliste. Certes le garçon n’est pas un manchot du clavier et des effets sonores, mais je n’adhère pas à son univers musical qui ne me provoque aucune émotion. Pas inintéressant, certes, mais pas passionnant. Ce n’est qu’après coup que je me suis rendu compte qu’en fait c’est lui qui gère les percussions électroniques de Woodkid, et là… C’est autre chose.

Puis c’est la pause. On diffuse une musique d’ambiance minimaliste qui me rappelle un peu la période aquatique de Jean-Michel Jarre tendance “Cousteau”. Ce qui m’a inspiré le commentaire suivant :

La musique de transition ressemble à une production de Luc Baiwir illustrant un documentaire sur les profondeurs abyssales, subsidié par la province de Hainaut, et tourné au lac de l’Eau d’Heure

Woodkid s’installe

Le staff s'installe

Le staff s’installe

Arrivée de Woodkid sur la scène. Là, on a nettement plus de personnel… Percussions acoustiques, percussions électroniques, clavier… et puis violon, alto, violoncelle, clarinette basse (Certifié par mon amoureuse, je pensais naïvement à un saxophone, mais chacun sa spécialité, tu voâââââs…) et trombone. Bigre. On n’a pas peur de mixer les influences, c’est du sérieux et ça me parle. Yoann Lemoine commence par parler chaleureusement au public, et il inspire immédiatement beaucoup de sympathie, demandant pour qui ce concert était le premier de la “période machin”, et effectivement, vu la réaction du public, ce n’était pas une “première” que pour nous deux.

Le concert démarre en douceur. L’acoustique est excellente, l’ambiance calfeutrée et plutôt intime. “Iron” est jouée comme deuxième morceau, m’installant dans un peu de terrain familier, mais la dimension live avec la puissance des instruments me fait déjà frissonner… Beaucoup plus que quand je l’entends en guise de générique radio. Tout de suite, la mise en lumière éclate : Woodkid monte sur un podium au-dessus et à l’arrière de ses musicos, et sur un écran géant en fond sonore sont projetées des séquences animées en images de synthès du plus bel effet… Franchement ça donne. Etant novice dans l’univers musical de Woodkid, je me sens bien incapable de vous dresser une set list de morceaux que je découvre et dont je ne connais forcément pas le nom. Mais les premiers morceaux sont porteurs d’une lourdeur mélancolique qui me transperce littéralement. C’est un univers poisseux, dense et riche dans lequel je me reconnais parfaitement.

Toutefois, après les premiers morceaux, je commençais à le cataloguer dans le tiroir “brayous” (Note aux non wallons : c’est du patois pour “pleurnichard”). Je fais ainsi référence à une période de ma vie (grosso modo 1997-2002) où j’écoutais de manière quasi exclusive des artistes produisant une musique triste, sombre, mélancolique (genre Nick Cave, les Tindersticks, Perry Blake ou des joyeux drilles de cet acabit). Bien que riche de percussions sourdes ET assourdissantes, ça ne fleurait pas bon le youkaïdi-youkaïda…..

en duo avec Pierre Lizée

en duo avec Pierre Lizée

Puis graduellement, la rythmique s’est élevée. Le duo très impressionnant de percussionnistes développait une atmosphère lourde, battante, industrielle, qui vous fait résonner les os. Des coups de marteaux sur des parois en fonte, des chocs sur des bidons d’asphalte remplis, même les mélodies aériennes développées par les instruments classiques qui essayaient d’égayer l’atmosphère avaient l’air poisseuses. Peu à peu une musique aussi tribale que métallique envahissait l’espace de manière extrêmement dense. Bref, ça s’excitait de plus en plus, mais qu’est-ce j’avais bon !

La richesse de Woodkid me semble venir de cette alchimie entre rhythmique lourde et envahissante et lignes mélodiques d’une grande pureté. C’est un cocktail vraiment intéressant, dense et riche, et j’étais totalement absorbé par ce voyage musical. Et le bonhomme est extrêmement attachant, communiquant beaucoup avec son public, livrant ses propres émotions, s’interrogeant comme un pote qui se soucie vraiment de ton bien-être tout en livrant le meilleur de lui-même. Il était content d’être là, content d’être à Bruxelles où le public est souvent aussi réceptif que démonstratif, et ça lui plaisait. Ca se voyait.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner cette extraordinaire dualité entre les percussions acoustiques et électroniques ; leur donner vie via deux musiciens différents rend palpable cette tension, cette lourdeur, qui vous secoue l’intérieur des entrailles… Et qui se marie si bien son invraisemblable densité avec le côté plus aérien des instruments à corde. C’est un régla, tout simplement.

Vient alors un vrai beau moment d’émotion quand Woodkid invite sur scène Pierre Lizée, un belge qui avait fait une cover de la superbe chanson “In your likeness”, qui a touché l’artiste au point de lui offrir un duo sur scène lors d’un passage en Belgique. C’est chose faite. Et bien faite. La chair de poule, je vous dis.

Les jeux de lumière méritent aussi une mention spéciale, notamment quand les sports se positionnent pour former dans l’atmosphère moite une sorte de grille de lumière en trois dimensions sur laquelle l’artiste fait mine de s’appuyer, l’effet est particulièrement réussi.

Final

Woodkid réussit à nous immerger dans une atmosphère aussi oppressante qu’enthousiasmante jusqu’au bout. Le public aime ça et manifeste sa joie en une communion tribale et gesticulante du plus bel effet, prolongeant les morceaux en ahanant les refrains instrumentaux à la grande joie de l’artiste. C’est un partage d’émotion et d’énergie qui fait vraiment du bien. Le rappel vient avec “Run Boy Run“, de ses premiers gros succès, et l’audience scande les quelques notes avec tellement d’ardeur qu’on dirait que la communion ne va jamais terminer. Mais les meilleures choses ont une fin, et le retour des lumières laisse le sentiment d’avoir participé à une très belle fête du son autant que de l’image de synthèse.

Ce fut pour moi une très belle expérience, un concert vraiment réussi, et la découverte d’un artiste talentueux, inventif et enthousiasmant.

J’en veux encore !

Roget Waters

Amateur de musique depuis tout petit, j’ai aussi des chose à dire sur le sujet… Chroniques de concerts ou coups de coeurs divers, cette rubrique sent les notes.

Roger Waters en concert…… J’ai donc attendu d’avoir 47 ans pour aller voir un tel événement. Un monsieur qui était en pleine période créative avant ma naissance, quand même.

Fan de toute déclinaison Floydienne depuis que j’ai été en âge de comprendre ce qu’était la stéréo (mais trop tard pour avoir connu Roger dans la Machine), et après avoir vécu un moment extraordinaire il y a deux ans quand David Gilmour s’était produit à Tirlemont, je bavais, que dis-je, je m’inondais mentalement de suc salivaire à l’idée d’enfin voir un de ces monuments personnels que j’ai érigés au panthéon de mes obsessions musicales. Mes attentes allaient-elles être comblées ? Le suspense est insoutenable….

Parti de manière solitaire dans ce périple anversois, Facebook n’a pas manqué de me rappeler que j’avais de très nombreuses connaissances dans la salle. Cependant, le Sportpaleis, ce n’est pas la friterie du coin, et l’assistance nombreuse a réussi à faire en sorte que je n’en ai physiquement rencontré aucunes…. Si vous êtes sages, je créditerai quand même à la fin de l’article.

Préambule pédant

Si vous ne désirez lire que mon compte rendu du concert, vous pouvez directement passer au paragraphe suivant ; là, je vais donner quelques bases pour les curieux, les retardataires et les éventuels inconditionnels de ma prose absconse.

Il faudrait douze blogs et demi pour vous raconter mes rapports avec la maison Pink Floyd et à la musique en général. Comme beaucoup, j’ai été frappé par les défilés de marteaux et les élèves passés au hachoir alors que je n’avais qu’un âge à un chiffre mais je n’ai réellement commencé à m’y intéresser que vers mes 17-18 ans, lorsque Roger Waters avait quitté le groupe, escomptant sa dissolution pure et simple, et que les deux membres restants (Gilmour et Mason) se remettaient en selle avec ce qui s’apparentait à un album solo de David Gilmour fait avec l’aide de son pote Nick Mason, puis rejoint timidement par Rick Wright qui a grimpé dans le bus alors qu’il venait de démarrer. Ce fut donc “A Momentary Lapse Of Reason”, un album franchement pas inoubliable, mais qui remettait le Floyd sur la carte musicale… Et qui a fait pester Roger Waters à s’en mordre les dents.

6c007ddc4e683d1d8f8432a4e6e65572

PInk Floyd a été une machine à cinq engrenages. D’abord Syd Barrett, le psychotique génial très rapidement mis hors course par abus de substances qui font rire (ou pas). Ensuite Roger Waters, le torturé glacé à la tronche rébarbative, Rick Wright le gentil doux timide pétri de talent, Nick Mason le bricoleur inventif et diplomate, et enfin plus tard, David Gilmour, le soliste monumental, calme et rationnel quand Syd Barrett a commencé à sucrer les fraises. (Voir photo…)

Dans leurs premières années, le Floyd a été un collectif d’une inventivité totalement hallucinante. Qu’on aime ou pas, ils ont bousculé les codes et inventé un univers où la somme des talents des membres proposait un bouillon de culture d’une redoutable efficacité.

Quand est paru “Dark Side of the Moon”, la reconnaissance totale et inconditionnelle et le succès qui en découle a sans doute commencé à exacerber les traits de personnalité les plus marquants chez chacun. Chez Waters, il est raisonnable de penser que son ego et son narcissisme en général ont terriblement enflé au point d’imposer de plus en plus ses visions névrosées et apocalyptiques. Mais à l’époque, pour que ça marche, il avait besoin encore des autres qui apportaient une cohérence géniale à ses délires paranoïaques… Cependant, de 1973 à 1983, on sent qu’il a de plus en plus écrasé les autres membres, qu’il a mis au fur et à mesure sous l’éteignoir.

Quand est paru “The Wall”, on a eu droit à un distillat compact de toutes les angoisses et phobies de Roger, et l’extraordinaire médiatisation de l’album et de tous ses dérivés et certainement achevé la métamorphose complète de son ego tentaculaire. Première victime du nettoyage haute pression : le claviériste Wright, qui ne pouvait décidément plus fonctionner avec un patron autoproclamé et tyrannique. A peine pigiste sur le double album, Rick Wright a fait le minimum syndical et puis s’est dissous dans l’espace-temps. Quant à Gilmour, il aurait pu être juste un faire valoir… Sauf que quelques-unes de ses apparations dans The Wall ont tout de même transformé ce concept très prometteur en chef d’oeuvres ; ses soli sur “Another Brick In The Wall Part 2” ou “Comfortably Numb” resteront pour longtemps des monuments à la gloire de Gibson.

“The Wall” c’est Roger Waters, intégral, brut, complètement exposé. Et (c’est personnel, hein, vous avez le droit de ne pas me suivre sur ce terrain !) c’est aussi la fin de sa créativité débridée, le début de sa période de recyclage industriel et de l’éclatement complet de son ego.

En 1983 paraît “The Final Cut”. C’est les chutes de The Wall, avec un tout petit peu (vraiment vraiment très très peu !) de Gilmour et Mason pour dire que ce ne soit pas officiellement le premier album solo de Waters. Peu convaincant, cet album marque la fin définitive du collectif, et Roger quitte le groupe, persuadé qu’il n’a plus rien à prouver et que tout repose sur lui. C’est ça être narcissique, après tout…

1984_RogerWaters-TheProsAndConsOfHitchhiking

Dès lors chacun essaie de poursuivre son chemin de son côté. Waters sort un album ovni démontrant à la fois les limites de son travail solo (faut quand même appeler Clapton à la rescousse pour faire la guitare pour dire d’y mettre un peu de crédit). Il faut dire que ses concepts un peu aberrants de parcours d’auto-stoppeurs ou plus tard de gamin qui appelle un animateur de radio avec un téléphone sans fil laissent assez perplexe. Mais tout persuadé de son immense génie, il ne doute pas que le public va suivre. Pas gagné. La femme à poil de dos sur la pochette en dit long sur ses possibilités limitées en terme de communication et de marketing…

RogerWaters-album-radiokaos

Pendant qu’il sort ensuite son album au concept le plus incompréhensible, “Radio KAOS”, David Gilmour se rabiboche avec Nick Mason et suite à un combat juridique, les deux poteaux arrivent à arracher au forceps à Waters le nom de Pink Floyd moyennant un accord laissant Roger seul maître à bord de son produit “The Wall” (sauf pour les parties crées par Gilmour qui a gracieusement encore le droit de les utiliser). C’est ballot pour Roger car le public, lui, n’a pas oublié Pink Floyd, alors que so. nom à lui a moins de retentissement. Roger qui ? Ha. Ah oui, le mec de “The Wall”. Tiens c’était pas Pink Floyd, son nom ?

Même si le Floyd a sa période de créativité derrière lui, il aura encore quelques réussites notables à son actif. Roger, lui, il a toujours son bout de mur, mais il faut bien reconnaître qu’on attend la suite. Et de suite, objectivement, on n’en a pas réellement constaté, tout au plus un prolongement de son édifice toujours plus démesuré.

waters_amusedo

Pendant que Gilmour et Mason, enfin rejoints à temps plein par Wright essayent de renflouer le bateau avec leurs moyens, Waters rame (ha ha, que je suis drôle quand je m’y mets). En 1992 il nous sort quand même un joli pavé de 70 minutes très beau et très atmosphérique (“Amused to Death”), mais cette fois c’est Jeff Beck qui fait les piges à la guitare. Et si vous n’aimez pas les ambiances feutrées, vous fuyez cet album noir et mélancolique à l’extrême. Je l’ai adoré cet album, et je l’adore toujours, mais il faut bien reconnaître que ça ressemblait quand même à une nouvelle déclinaison d’une déclinaison d’une déclinaison de The Wall.

Ca-ira-Super-Audio-CD-hybride

Et donc voilà. Après 1992, c’est une période de non créativité musicale quasi absolue qui s’installe chez Roger. Pour satisfaire son ego, il lui reste quand même son produit, son bébé, ses tripes, son lui, son mur. Et dès lors, il va consciencieusement exploiter le filon jusqu’au dernier moellon en l’exploitant dans tous les formats et toutes les positions imaginables. De la chute du mur de Berlin à son passage sur les écrans de cinéma l’année passée, on a bouffé du mur pendant 25 ans en guise de production musicale. Et ce n’est pas le médiocrissime tendant vers le ridicule “Ca ira” qui ira nous démontrer le contraire. On ne va pas pour autant dire que pendant ce temps-là le Floyd a été véritablement prolixe, mais ils ne se sont jamais laissé oublier, entre albums solo ou en groupe, on continuait à créer. Roger, lui, fils de Sysiphe et de Pénlélope, déconstruisait son mur chaque soir pour le reconstruire encore plus haut le lendemain jusqu’à l’indigestion totale.

Un jour Rick Wright lâche la rampe et laisse Gilmour et Mason orphelins. Alors qu’on en attendait plus rien, le Floyd sort en 2014 son testament musical, “The Endless River”, une sortie vraiment plus qu’honorable et un hommage au grand Rick. Et dans la foulée, Gilmour sort un album, une tournée mondiale, un concert filmé à Pompéi, et tout ça.

Qu’est-ce que ça doit piquer dans la tête à Roger ! Malgré toutes ses briques, on continue à les lui briser menu avec ce Floyd qui a échappé à son emprise, et on sent qu’il se rend compte qu’il est temps qu’il refasse parler de lui pour autre chose que ses moellons mentaux mégalomanes…

is this the life

En 2017, alors qu’on ne l’attendait finalement plus, Roger sort enfin un album, 25 ans sa dernière production studio. “Is this the life we really want ?” est fort bien accueilli par la critique, et à mon avis, à juste titre. Cette fois pas de nom ronflant pour assurer la partie de guitare, et finalement fort peu de guitare. Un album toujours sombre, atmosphérique, engagé… et qui sent encore son Floyd à plein nez. Moult passages ne peuvent qu’évoquer un prolongement d’ “Animals” notamment, ce qui, il faut le reconnaître change du mur, mais ne sent pas nécessairement le renouveau créatif global. Il s’agit d’une production de très bonne facture, encore très engagée politiquement (depuis ses attaques sur Thatcher avec “The Final Cut”, on a l’habitude), d’une mégalomanie un peu confinée, sans concept ahurissant en guise de trame de fond. Il s’agit d’une production vraiment très agréable à écouter, ce que je ne me suis pas privé de faire à moult reprises. Toutefois, la première écoute que j’en avais eue était très superficielle car j’était occupé à autre chose, et en étant fort distrait j’ai à un moment donné revérifié ma playlist pour m’assurer que j’avais pas mis “Animals” par inadvertance…

Fort de ce succès d’estime et sans doute conscient qu’il fallait montrer qu’il pouvait quand même refaire autre chose que de la maçonnerie mégalomane paranoïaque, Roger s’est lancé dans le “Us+Them” tour qui nous occupe aujourd’hui. Reculé d’un cran dans l’historique de ses préoccupations, cette fois on reparle énormément d’Animals, de cochons géants, de centrales électriques et tutti quanti. Rien de bien neuf à l’horizon donc, mais un re-brassage et un nouveau recyclage de choses un peu plus anciennes. Ah, Roger, quel écolo musical tu fais, rien ne se perd, rien ne se crée !

C’est parti les amis !

fbtmdn

A Anvers on est pragmatique. Le visiteur automobile a tout loisir de se garer gratuitement à l’extérieur de la ville et de faire 15 minutes de tram gratuitement pour rejoindre le Sportpaleis où la foule se masse avec bonhomie. La moyenne d’âge du public ne frise guère avec la puberté, il faut le reconnaître. J’aperçois quand même des enfants, mais je ne eux que me rendre à l’évidence : certains sont venus avec leurs grand-parents… Voilà qui me rappelle que je ne suis plus guère un ado non plus….

Me voilà placé face à la scène. Certes. Mais diamétralement opposé à elle dans cette arène fermée qui me semble quand même diamétralement bouffie. Ne souffrant guère de myopie, je ne me sens pas vraiment menacé, mais tout de même, je ne m’attendais pas vraiment à être aussi loin en ayant payé 90 boules, mais peut-être n’ai-je plus tant l’habitude des concerts en salle à gros budget.

Pour faire patienter le public, on projette sur l’écran géant l’image de dos d’une personne assise face à littoral mal identifié. Il y a des dunes, la marée est basse et lointaine et laisse des “bâches” assez caractéristiques. Ca pourrait être la Côte d’Opale mais je peux me tromper, évidemment. Vu que c’est Roger, j’appelle ça un “Wallpaper”. Ha ha. Je me désopile. Quel talent, ce Neutron. Hum. Désolé.

dig

Lorsque le staff arrive sur scène, ouille, même mes 10/10 en vue éloignée souffrent… Je suis vraiment très loin, et Roger, je le devine à peine à sa tignasse grise et au fait qu’il est devant tout le monde. Et en plus il est en noir, c’est encore un signe qui ne trompe pas.

La musique s’élève avec “Speak to me / Breathe in the air”. C’est donc par la lune qu’on commence le voyage. Le son est bon, il est loin de m’arracher les oreilles, mais sur le grand écran, on ne projette pas les musiciens mais c’est un kaléidoscope bigarré d’une diversité colorée indéniable, certes, mais qui est frustrante à une pareille distance des musicos. C’est feutré, mais ça ne sent pas vraiment l’émotion brute tout ça…

Ah, quelques notes de guitare claquent. “One of these days” commence. C’est un peu sec. C’est plutôt bien joué mais rien à faire, c’est pas Gilmour. Le morceau est long et il ne chante pas beaucoup, donc c’est pas encore maintenant que Roger va nous éclabousser des ses prouesses vocales. Le morceau s’écoule énergiquement. C’est bien joué, y’a pas à dire, mais j’ai une impression de froid qui s’installe. Il parle quand Roger ? Bon, toujours pas… On le voit sur l’écran mais fondu dans d’autres images, on le distingue vraiment très peu, et pour moi il a toujours la taille d’un protozoaire. C’est un peu agaçant.

dig

La cloche sonne. Ce n’est pas la récré, c’est “Time” qui commence et les horloges se multiplient à l’infini sur l’écran et en effets sonores en multi-surround-5-dimensions-super-stéréostrobo-machin. C’est Roger qui chante. Ma mâchoire se crispe. Pour moi, “Time” sans Gilmour puis Wright qui chantent, c’est un peu crispant, c’est un contexte qui ne convient pas à la dureté de la voix de Roger. C’est toujours très bon musicalement parlant mais à force de le voir en fondu sur l’écran je finis par me rendre contre qu’en guise d’instrument, il ne va sans doute nous jouer que de la basse ce soir. Donc OK, la musique est bien jouée, mais nomdidjû, c’est du Floyd sans les envolées de Gilmour et les nappes de Wright, c’est froid froid froid froid. Et Waters ne dit toujours rien du tout…

Gngnggnggnn. Les premières notes “The Great Gig in the sky” s’égrènent. Je frissonne, mais ce n’est pas de plaisir. Ca c’est un morceau qui est une formidable communion improvisée par un Rick Wright transcendé et une improvisation monstrueuse de Clare Torry. Même Gilmour s’est totalement vautré en l’incorporant dans sa tournée précédente… On ne peut pas s’attaquer à ça sans y laisser son âme. Les choristes sont certes talentueuses, mais non, non, non, ça ne le fait pas, c’est à côté. C’est pas aussi raté que la calamiteuse version de Gilmour à Pompéi (le morceau le plus raté de son concert à mon sens !), mais quand même, c’est raté pour moi, ça me crispe. Et je sens ça illégitime, je ne suis pas sûr que Roger ait quoi que ce soit à voir avec la génèse de l’original, c’est un vol, c’est un viol. Arrêtez les gars, non, quoi, c’est de la pitrerie. Ouf. ca fait du bien quand ça s’arrête.

Ca y est, ça recommence. On entend des effets de radio tunées, des commentateurs radio qui se mélangent, des bruits de bombes qui explosent… Oooooooh comme tu es original Roger. Faudrait p’têt qu’on t’explique que tes collages bruitistes sont les mêmes depuis près de 40 ans et ce qui semblait un peu novateur fin des années 70, c’est légèrement un fond de loose de nos jours non ? Bon, chacun fait comme il veut. En attendant, je m’ennuie un peu. Je ne ressens pas vraiment d’émotion, j’aime pas trop ça…

Tiens je ne reconnais pas les notes… Ca me dit quelque chose… Ah OK. “Welcome to the machine”. Bon. Distorsion dans la voix, c’est normal. Personnellement j’ai jamais été fan de ce morceau-là. Roger n’a toujours pas parlé une fois. C’est mou du slip. Je m’ennuie. C’est un comble…

Roger enchaîne ensuite sur trois morceaux de son dernier album. “Déjà vu”, “The last refugee” et “Picture that”. Bon, pas d’imposture à l’horizon, évidemment, le line-up est proche de celui de l’album, le son aussi. Ca se laisse écouter sans plus car les chansons sont bonnes mais sont des resucées de thèmes déjà moultement foulés par le passé, et très honnêtement, je n’arrive pas vraiment à voir la valeur ajoutée par rapport à l’écoute de l’album. Oh oui, il y a des images qui claquent de partout sur l’écran, certes, mais bon, un bon powerpoint, et puis voilà, hein…

Et puis arrive “Wish you were here”. Gnggngngng. Ca recommence comme avec “Time”. Ca ne va pas quand c’est Roger qui chante, sa voix est trop dure, trop autoritaire pour ce morceau rempli d’émotion. Musicalement c’est trop tranchant. C’est encore pour moi une légère forme d’imposture. Je n’ai toujours pas réellement vibré. Pour un fan comme moi, c’est pas bon signe……. Et toujours pas un mot pour son public… On a beau savoir que communiquer n’est pas son point fort, ça frise le manque de respect pour le public quoi. You-houuuuu, Roger, on est là, enlève un peu ton mur et fais coucou s’teuplé !

Ah. Un peu plus de bruit tout d’un coup. On entame “The happiest days of our live” et “Another Brick in the Wall p2”. Je me disais aussi que ça manquait de mur, voilà le maçon… au pied du mur. Là, on est évidemment en terrain très familier donc ça décolle un peu. Le guiratiste, je finis pas me rendre que c’est Jonathan Wilson que je connaissais un peu. Il n’est pas manchot, il tient assez bien la rampe sur le solo du morceau phare qui est pourtant une des plus belles réussites de Gilmour. On remonte un peu la pente, il y a un peu d’émotion. Enfin? Mais c’est peu, très peu depuis le temps que ça a commencé… Ah il y a des enfants sur la scène pour faire le choeur. Ah oui, d’accord, là, je dois le reconnaître, ça le fait enfin. Pourvu que ça dure !

Ca y est il PARLE !!! Il a dit un mot pour les petits chanteurs. Et il parle… en français ! Ouille, fieu, faute de goût, le patron local c’est Bart De Wever, tsé… Enfin bon, la salle ne siffle pas, c’est toujours ça de gagné. Là-dessus, en français, Roger nous annonce que c’est l’ “intermission” (Argh !) et qu’il reviendra tantôt. Ah bon. A peine décollé, on atterrit. Tudju. L’enthousiasme retombe donc très vite…

On entame la deuxième partie

Lorsque les lumières s’éteignent, y’a des trucs qui commencent à bouger au-dessus du parterre central. Une invasion extraterrestre, peut-être ? Que nenni, un décor se met gentiment en place, isolant la scène de mon coin de salle décidément bien éloigné… Et le public interloqué découvre que Roger est toujours ce mégalomane bien connu : ce sont les cheminées de l’emblématique Battersea Power Station dans une version apparemment gonflable qui apparaissent dans le champ de vision. Jugez, ça le fait…

dig

Pas besoin d’être un spécialiste pour deviner que l’on va avoir droit à Animals… Et effectivement on entend les premières notes acoustiques de l’intro de “Dogs”. Oula, on va s’en prendre pour 20 minutes, non ?

Démesure et politique, c’est ce qui est le plus flagrant. Là on est resté au niveau de la bonne impression que commençait enfin à laisser la fin de la première partie. Comme “Animals” est un album qui sonnait froid et désincarné, on est bien dans le sujet, et comme si ma mémoire est bonne, seul Roger était aux vocaux dans l’original, forcément, on y est. Le filon ayant été peu exploité ces 25 dernières années, le plaisir monte enfin. Roger, pendant les parties instrumentales, commence à brandir des panneaux “Pigs rule”, puis “Fuck the pigs” et nous balance son aversion pour les totalitarismes de tout poils (ou en l’occurrence de toutes soies !). Tant pis pour les chiens, balance ton porc, camarade.

Et puis les cochons prennent la vedette sur les chiens, définitivement. “Pigs” commence et nous voilà survolés de près par un immense cochon menaçant tandis que s’affichent les mots-clés des paroles… “Charade” et tout ça, quoi… Là le spectacle se fait toujours plus mégalo, mais ça en jette, je dois le reconnaître. Ça prend même le pas sur la musique, finalement…

dig

Toujours impeccable au niveau sonore, les musiciens sonnent tout comme il faut, mais le public est complètement accaparé par ce cochon dirigeable qui finit par disparaître sans qu’on ne voie vraiment comment. Deux morceaux qui représentent finalement plus de la moitié de la durée de l’album. Soudain le public hurle car s’affiche “Trump is een idioot”. Ouf, l’honneur du néerlandais est sauf, on a respecté le quota. La charge anti-Trump est aussi virulente que prévue.

Je m’amuse cependant mentalement devant ce paradoxe où celui qui a bâti sa renommée sur un mur critique celui qui dilapide l’argent des américains en voulant en construire un autre. Mais bon, sur le principe, je ne saurais lui donner tort…

Après cette section animalière, on entend un bruit de tiroir caisse bien familier, pendant que la centrale électrique gonflable a fait place à un laser show faisant apparaître une image encore plus emblématique du Floyd : le prisme impérissable de Dark Side of the Moon juste au-dessus de nos têtes…

dig

A la guitare, Jonathan Wilson se démène pour nous servir son jeu plutôt froid mais qui tient bien la route sur “Money”. On est resté sur un niveau à mon sens bien supérieur à la première moitié du show. “Us and Them” continue le lunaire voyage, calmant un peu l’atmosphère. Roger a la délicatesse de laisser les vocaux à ses partenaires de scène, et je l’en remercie car sa voix hargneuse aurait vraiment cassé toute la douceur et l’émotion que véhicule traditionnellement l’hymne éponyme à sa tournée. Mais du coup je me permets de dire : “ben il fait quoi alors ?…” Tudju, je viens encore de me donner une raison de redescendre de l’état contemplatif que je venais d’atteindre. On n’est pas dans un show du Floyd, mais bien de Waters, faudrait pas l’oublier et se recentrer sur le sujet.

D’ailleurs Roger se remet en scène pour recadrer puisque démarre “Smell the Roses”, de son dernier opus, ce qui est essentiel pour se remettre au centre des préoccupations. Mais comme dans la première partie, c’est bon, le staff est dans son élément, mais qu cela manque cruellement de magie et d’émotions…

OK, faut quand même aller au bout du filon, on revient faire un petit tour sur l’astre lunaire avec “Brain Damage” et “Eclipse”, mais la mégalomanie s’étouffe légèrement et le souffle retombe progressivement. Trou d’air, je ne redécolle plus.

dig

Maintenant qu’on se dirige gentiment vers la fin du show, Roger se décide enfin à parler et à présenter son équipe, non sans profiter de son temps de parole pour en coller une verbale à propos du gouvernement Israélien, ses grands amis du moment… On attaque le final. On ne va pas parler de rappel car il est difficile d’imaginer que le grand Roger attende qu’on le rappelle, il est déjà là après tout…

On revient quand même refaire un tour dans son mur adoré puisque c’est “Mother” qui se dessine à nos oreilles. Ah Maman qui lui a transmis toutes ses peurs et qui a aidé à construire son mur. Oui oui, Roger, on sait ce que tu lui dois en général, ça fait 40 ans bientôt que tu nous le répète. On est bien dans ton univers, t”inquiète pas, mais on va quad même bientôt y aller…..

On en termine par la dernière brique du mur l’indémodable et intemporel “Comfortably Numb”. Wilson se débrouille encore fort bien sur le morceau le plus Gilmourien du tas de brique, mais il n’est que le locataire de ce pan de mur du son-là, pas celui qui a imaginé ce qui est dans mon esprit un des plus grand soli de guitare jamais sorti des doigts de David. C’est beau, certes, mais encore une fois, ce n’est pas Pink Floyd… Impossible pour moi de ressentir autant d’émotion que lors de la prestation de Gilmour deux ans plus tôt sur la place de Tirlemont. Et malgré que ce soit un de mes morceaux préférés dans l’absolu, je me sens aussi d’un seul coup… “confortablement engourdi”…

Bilan strictement personnel

Je vais essayer de résumer. Cette grand messe annoncée m’a procuré un grand nombre d’émotions diverses et parfois contradictoire, mais pas d’émotion au singulier. J’ai assisté à un show, à une grosse machine, à une grande parade, à une vague mégalomane et narcissique toute acquise à la cause de Roger, mais pas à une communion. Roger, tu es l’auteur de grandes choses, mais depuis que ton égo a étouffé tout le reste, tu ne te rends pas compte de la chance que tu as eue d’être épaulé par des adjoints incroyablement talentueux qui ont été autant que toi responsables du succès de Pink Floyd et de The Wall en particulier. La machine n’est plus. A Gilmour l’émotion, même s’il n’est pas un compositeur de génie. A Wright la sensibilité et la générosité discrète. A Syd la folie créatrice qui a lancé la machine. A Nick le soin de balayer derrière les autres. Et à Roger Waters l’ambition et le besoin de grandeur qui ont fait du groupe d’être un monument pour toujours. Mais désunis, ramenés à vos individualités, vous n’êtes plus que bribes.

Une autre bribe du même mur.

Ma chronique de l’album “Seas of Change” (2018) du groupe Galahad

Un article R42 traitant du regretté Wesley Willis