Quelques décennies d’existence vous permettent parfois de dégager certains enseignements sur vous-même. En l’occurrence, je viens encore d’en faire l’expérience : j’ai un profond, indéfectible et probablement irréparable problème avec les comédies musicales. Au point que le sujet me paraît suffisamment pertinent pour en disserter…

Contexte

Mon amoureuse, c’est son kiff à elle. Notre récente fusion domestique familiale m’a permis de le remarquer quand nous avons déployé côte à côte nos collections de DVD respectives ; dans son apport, il y a un nombre significatifs de films genre “Yentl“, “Les Demoiselles de Rochefort“, “Mamma Mia” et autres classiques du genre. Dans mes propres artefacts, il faut bien reconnaître qu’à la notable exception de “Sweeney Todd” qui fait partie d’un coffret complet Tim Burton, c’est le désert catégorique. Et encore, “Sweeney Todd“, je ne savais même pas que c’en était une et je ne l’avais jamais déballé.

Récemment, nous apprîmes que le sieur Steven Spielberg allait se fendre d’un remake de “West Side Story“. L’original échappait alors à ma culture de visionnage. Suite à un compromis explicite, et sachant qu’elle m’avait accompagné lors du visionnage du récent “Dune”, j’avais par principe acquiescé à l’idée du visionnage de ce nouvel opus. Mais sachant que Véro connaît mes réticences vis à vis du genre, elle m’a très altruistement proposé de visionner le WSS de 1961 avant, histoire d’être sûr que je survivrais à une projection grand écran. Dans ma tête, sachant que sous son influence culturelle, j’avais déjà survécu sans effets secondaires à “Singing in the Rain” (j’en avais d’ailleurs livré mes impressions ici même), je m’était dit “allons-y”… Et donc hier soir nous avons entamé le récit musical de l’histoire des Jets et des Sharks….

30 minutes. C’est tout ce que j’ai pu en supporter. J’en ai attrapé des crampes. Je ne savais plus comment me positionner dans l’immense canapé. Je ressentais une oppression à chaque note, à chaque ballet de rue. Bravement, Véro apportait tous les arguments du monde pour me décrire la qualité de l’oeuvre, mais pas un n’arrivait à faire mouche. J’en suis même venu à me dire intérieurement que je préférais aller chez le dentiste. C’est vous dire à quel point la révulsion PHYSIQUE me broyait. J’ai essayé, je vous jure. J’ai pensé à mon fils cadet qui déteste les champignons, et qui malgré tout se teste régulièrement en y regoûtant encore et encore, pour arriver systématiquement à la même conclusion : il déteste ça, et ça ne s’arrange pas avec l’âge. Ben moi c’est pareil avec les comédies musicales. J’ai beau essayer de me désensibiliser, c’est juste totalement contraire à ma nature.

Je reconnais toutefois des qualités objectives à West Side Story. C’est parfaitement orchestré, c’est bien filmé, je peux totalement comprendre que d’autres adorent ça. Mais pas moi. Je ne peux pas. C’est pire qu’une colonnoscopie. J’ai l’impression d’avoir le cerveau qui se liquéfie….

Pourquoi ça m’agresse autant ?

J’essaie donc de comprendre ce qui provoque en moi un rejet aussi total, absolu. Parce que ça relève à ce stade de la phobie irraisonnée.

Je précise déjà ici que selon ma définition, on doit isoler “comédie musicale” de “film musical”. Dans les films où la musique ou la danse SONT le sujet, non seulement ça passe très bien, mais j’ai vu des choses merveilleuses. “Billy Elliot“, “Les Virtuoses“, “Le Concert” en sont autant d’exemples. “Tenacious D and the Pick of Destiny” ou “Spinal Tap“, c’était juste fabuleux. J’ai aussi adoré des trucs comme “On connaît la chanson” car ça part d’un postulat rigolo… et que ça ne danse pas. Je me souviens aussi, ado, d’avoir beaucoup aimé “Purple Rain” en film, mais c’était Prince, et ça ne dansait pas !!!

Mais….. un film où les protagonistes CHANTENT l’histoire, DANSENT en chorégraphie parfaite dans le décor quotidien comme si tout le monde faisait ça… Argh. Non, c’est pas possible. Ca me paraît inepte. Je n’y survis pas. Ca ne me provoque pas la moindre émotion positive, juste une totale et irrépressible répulsion.

Mes canaux sensoriels privilégiés sont le visuel et le tactile. Je ne suis absolument pas un auditif. C’est entre autre pour ça que bien que je sois très fan des films ou séries en version originale, quand j’en regarde en anglais, même si je peux honnêtement que ma maîtrise de la langue est plutôt bien établie, j’ai BESOIN des sous-titres comme support. La compréhension risque de m’échapper si je dois me focaliser sur le support auditif en même temps que sur l’image. Et au risque de vous surprendre, l’âge venant, même les films en français, je commence parfois à les regarder sous-titrés. Bon, d’accord, parfois c’est parce que l’ambiance familiale sonore ne prête guère à la méditation (surtout quand les kids font la vaisselle à côté). Je n’en ai pas pour autant une mauvaise audition, je suis toujours aussi amateur de musique que je l’ai été, mais je ne suis plus sensoriellement multi-tâches. L’auditif me demande maintenant un effort de focalisation qui a du mal à se voir défié par d’autres types d’information.

Alors une comédie musicale, évidemment, comment voulez-vous que j’adhère ? Ils chantent leur vie, ils la dansent, c’est une véritable AGRESSION sensorielle. Particulièrement quand l’univers musical est à des années-lumière de mes préférences en la matière. Je me sens comme cloué au pilori, lapidé par des informations qui n’ont aucun sens pour moi. C’est un calvaire total.

Plongée dans mes expériences passées

Je n’ai pas souvenir de la moindre culture familiale qui m’ait poussé à découvrir des comédies musicales étant jeune.

Comme tout le monde, j’ai regardé des Disneys de mon époque, et dans mes souvenirs datant d’un âge à un chiffre, je supportais très bien les Aristochats ou le Livre de la Jungle. Mais passé le stade de “Rox et Rouky”, je vous jure que les Disneys ont commencé à se muer pour moi en épreuves épouvantes (pardonnez la redondance explicite d’une telle formule, je sens que je vais tomber à court de métaphores). J’étais heureux quand les magnétoscopes VHS ont fait leur apparition dans le quotidien audiovisuel domestique car je pouvais commencer à PASSER ces passages chantés complètement abscons. Et pour finir j’ai complètement arrêté de regarder les “Disneys qui chantent” parce que ça me faisait l’effet d’un suppositoire conservé dans de l’azote liquide.

Un peu plus récemment (à peine, finalement), je me souviens d’avoir assisté à une première de “La Reine des Neiges” organisée par mon employeur pour une fête de Saint-Nicolas avec les kids, et où seule leur présence m’a empêché le déclenchement d’une embolie gazeuse ou une décompression explosive. Je me disais “survis, gars, tes enfants ont encore besoin de toi“.

D’aussi loin que je puisse me souvenir, je ne peux pas supporter qu’on chante ce qu’on est en train de faire à l’écran, ni les paroles ineptes placardées sur des chorégraphies approximatives, fussent elles réalisées en dessin. Dans mon propre fonctionnement, ça ne va pas, c’est totalement en décalage

Voici quelques-unes de mes expériences les plus terrifiantes, et il est probable que d’autres ne me viennent plus à l’esprit car j’ai dû les occulter totalement pour préserver ma santé mentale.

  • Flashdance“, “Roadhouse“, “Dirty Dancing” : des comédies musicales emblématiques de mon adolescence, du genre de celles auxquelles tu assistais pour faire plaisir aux copines pour lesquelles tu nourrissais parfois des sentiments pas très avouables, mais à la fin desquelles je me sentais plus fatigué qu’au sortir d’une course de fond.
  • Les parapluies de Cherbourg” : je l’ai visionnée un jour pour essayer de me documenter sur le sujet car je pressentais que je devrais expérimenter un match d’impro qui en imposerait le thème. Les “bi-dou-daaaaah” à la Michel Legrand ont quasiment provoqué une crise d’urticaire avec complications
  • Grease“, “The Rockey Horror Picture Show” ou “The Blues Brothers“, j’y ai assisté avec une totale consternation. En voyant ces choses et l’enthousiasme absolu que ça suscitait autour de moi, je me demandais à chaque fois si j’appartenais à la même espèce que le public ciblé, tellement ça me provoquait de convulsions
  • Je suis désolé d’apprendre à certain(e)s de mes ami(e)s de toutes époques que je n’ai pas osé leur dire que regarder “Moulin Rouge” ou “Chicago” jusqu’au bout avaient été à mon échelle un acte d’héroïsme et d’abnégation qui valaient un 11/10 sur l’échelle du renoncement
  • Un jour je tombe sur “Les Misérables” (2012) sur Netflix. Ayant beaucoup aimé les versions Jean Gabin et Lino Ventura, et manquant totalement de contexte, je me suis dit qu’avec Hugh Jackman ça pouvait être intéressant. Ce furent parmi les 5 minutes les plus longues de mon existence avant que je ne me rendre compte que c’était une comédie musicale, et il m’a fallu trois Star Trek d’affilée pour m’en remettre.

Conclusion

Tout cela pour vous donner une idée qui, je vous le martèle, est purement personnelle et n’engage aucun jugement de valeur sur le plaisir que le genre peut procurer à mes contemporains.

Je n’ai rien contre les comédies sentimentales à l’eau de rose, vous savez, quand elles sont bien ficelées, je suis encore assez fan de Harry et Sally, des Nuits Blanches à Seattle ou de tas d’autres exemples du genre. Donc ce n’est pas ce côté-là qui me gêne dans beaucoup de comédies musicales (d’ailleurs, est-il des exemples concrets de vrais “drames musciaux” ?). Non, c’est les gens qui chantent et qui dansent pour raconter une histoire. C’est un mode d’expression qui m’est totalement étranger, totalement inaccessible, et qui me met dans un réel état de souffrance. Je sais, ça peut paraître difficile à comprendre, mais je n’exagère rien.

Dans mon monde personnel, je pourrais passer une semaine d’affilée sans dormir à regarder des fictions, mais regarder UNE comédie musicale, c’est la finale olympique de l’auto-flagellation. C’est perdre un temps dingue que j’aurais pu passer à apprendre par coeur une notice de médicament ou à traduire les minutes du conseil communal de Doische en araméen.

Et franchement, je peux totalement comprendre que vous ne partagiez pas mon sentiment sur le sujet et que vous tentiez de mon convaincre. J’ai été jusqu’à essayer de visionner la bande annonce de La La Land, juste pour voir.
J’ai pratiquement vomi.
Et pas parce que j’étais hyper content.
Je suis perdu pour la cause.