Chicon

“R42” était un département de l’ancêtre des réseaux sociaux “parano.be”, site directement inspiré du jeu de rôle “Paranoïa” que j’ai beaucoup pratiqué pendant mon adolescence. C’était une équipe de joyeuses et joyeux timbrés aimant l’absurde aux talents rédactionnels jouissifs. Vous trouvez ici quelques contributions personnelles à ces loufoqueries collectives.

Nous, les belges, on est bizarres.

Il semblerait que le reste du monde nous considère soit avec une indifférence polie (ou pas) due à la méconnaissance totale de notre paycule (1), soit avec le léger mépris consensuel teinté d’une bonhomie de façade (2) qu’il est de bon ton d’afficher en présence de l’idiot du village (3).

Je me dis parfois que cette impression a ses justifications. Chaque pays a ses symboles, la Belgique est un pays, donc, la Belgique a des symboles (4). Enumérons :

  • Manneken Pis : cinquante centimètres de haut, un centimètre de zguègue (5) et un jet dont la pression ne s’arrête jamais. Un symbole ? Non : un totem !
  • Le Gilles de Binche : une autruche épluchée plantée à l’envers sur la tête d’une momie gesticulante et rembourrée. Un symbole ? Non, une compilation.
  • Le Lion de Waterloo : un fauve de bronze battu par une pluie incessante juché sur une butte remplie de marches dont il est impossible de descendre sans un rhume cataclysmique et un vers de Hugo dont on ne connaît que les premières strangulations. Un symbole ? Non, un nain de jardin aux dimensions de la plaine.

Le chicon.

Pour ceux qui ne pratiquent pas le parler belgien de notre côté de la frontière biéro-fritique, le chicon est un légume cultivé avec amour et humidité (6), généralement désigné par nos gentils voisins de Franceland du le vocable d’ « endive », et par nos fédérés copains les flamands du terme de « witloof », prononcé très rapidement (7) Je suppose qu’il existe même beaucoup de gens qui ignorent totalement l’existence du chicon, pratiquement autant que de ceux qui pensent que Bruxelles est une province du Québec (8)

Je profite donc de ce répit subitement apparu dans mon manque d’inspiration pour vous décrire ce merveilleux légume, cette plantulissime sublime, ce végétal subliminal, le chicon.

Géométriquement, le chicon a une forme oblongue, aérodynamique et vaguement lisse. D’une longueur de dix à vingt centimètres (9) et d’un diamètre maximal variant en fonction de la saison et de l’appétit du consommateur, il est, à l’état sauvage, de couleur blanche, de consistance ferme, et sa conversation est franchement lamentable. Il devient grisâtre et flasque après cuisson. Sa conversation ne s’améliore pas après avoir mijoté, mais il tient plus facilement dans un vieux mouchoir, ça facilite le transport. Il est probable qu’en certaines circonstances, le chicon soit utilisé comme accessoire sexuel. Le côté pratique est qu’il peut servir de missile à orifice à l’état cru, et qu’il peut servir d’orifice une fois cuit. Ca a l’air pervers, mais si vous me lisez encore, c’est que vous n’en êtes pas à votre expérience léguminosexuelle.

Exemple rencontré en littérature : « Oh oui, Raymond, mets-le moi toute, mets-moi ton gros chicon dans la bouche sans dents, c’est moi prépare la béchamel» (Bruno-Henri Lévi, « Mes pets sont aussi des mots », édition du Steak d’Oreille)

Hum.

Je m’égare. Veuillez me flageller.

Une chose à très vite oublier est que certains séparatistes culinaires le mangent CRU, en SALADE, avec de la MAYONNAISE ou des POMMES. RHEÛÛÛRGH (10) !!! Infamie, félonie, le chicon qui se respecte se mangera cuit et seulement cuit. C’est une règle qu’on ne transgresse pas, sinon on est un félon, et on est montré du doigt en public, même avec la braguette fermée.

Le chicon a un goût de fiel. Le novice chiconnier qui tentera sa première expérience de composition culinaire à base de ce divin végétal sans avoir lu le fichier « help » livré avec encourt le risque de lui laisser ce goût atroce, piquant, âpre comme un sorbet à l’huile de foie de morue, « sûr » comme la langue du fêtard après qu’il ait vomi ses douze Orval au dentifrice. En effet, le chicon est piégé ; il a comme une poche de venin qui, lorsqu’elle n’est pas traitée avec les égards dus à son rang, libère une toxine qui fait bronzer les yeux et apparaître des cheveux sur les dents. Le chicon, on le respecte, on l’aime. Sa vésicule biliaire, c’est son identité ; une bonne et saine ablation, c’est la préserver.

Le secret, c’est la cassonade !!! Autre belgicisme alimentaire, la cassonade est un sucre brun, collant et parfumé, débaptisé « vergeoise » par des voisins irrespectueux, et qu’on a bon quand on l’étale sur des crêpes ou sur ma tante, à condition qu’elle ait pris une douche. Pouf, je m’égrapille à nouveau. Pour vaincre cette abjecte âpreté, le chiconophile incorporera une bonne cuiller de cassonade à sa préparation, ce qui adoucira la raclure papillaire et qui a l’avantage, en cas d’échec de la préparation, de se justifier envers les convives en leur déclarant « mais quel est le ballot qui a mis du sucre dans mes chicons ! », ainsi ils se sentiront coupables et iront immédiatement se dénoncer à la police des chicons, où ils risqueront cinq ans de rollmops à la confiture de criquets.

Le chicon se présentera éventuellement sous le nom de Hyancinthe, mais si c’est le cas, ne lui répndez pas, il ment.

On prépare également le chicon sous la forme de roulade. C’est légal. Vous emmenez votre chicon faire un tour chez votre tailleur et vous lui achetez une chemise de jambon. Allongez-le ainsi costumé dans un plat, déversez sur lui un tombereau de béchamel, saupoudrez le tout de fromage râpé et rangez-le dans votre slip si jamais l’envie vous prend d’en faire un vêtement. Ce qui serait stupide, puisque le chicon ne sait pas conduire.

On peut également coudre des manteaux en peau de chicon retourné ; c’est très chic, sauf à la saison de la chasse.

Une fois rassasié, épluchez votre chien et enfilez-le sur un collier.

A bientôt pour une nouvelle découverte du pays où il fait bon… heu… où il fait bon avoir bon.

Et réciproquement.


(1) Néologisme regicien signifiant « pays à l’envergure ridicule ».

(2) Des fois je me dis que je cause bien, quand même.

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