La Fraaaaaaaaance…..

Et allez, c’est reparti. Une fois de temps je parle de foot, mais là, le contexte est un peu plus général. Comme c’est devenu l’habitude, quand on parle de foot en Europe ou au niveau mondial, il est difficile de passer à côté de la France.

Fact-Checking

Quand on parle de foot, on a tendance à un nivellement général des facultés de réflexion abstraites par le bas. Mais le bas, genre très bas, genre la cave d’une mine où on a creusé un abri anti-atomique au cas où vraiment on voudrait aller au fond des choses. Il est donc à mes yeux important de contextualiser avec des évidences :

  • La France était finaliste de l’Euro 2016, et a remporté la Coupe du Monde en 2018.
  • La France a battu la Belgique lors de la demi-finale de la dite coupe du monde 2018
  • Ca nous a fait très mal au cul. Et ça pique encore. Et c’est objectif. Genre fissure anale purulente. Mais bon : ça devait se passer comme ça, point barre. Après, la France a gagné la finale, c’est donc qu’il y avait objectivement une machine de guerre en face.
  • Depuis 2018, la Belgique est en tête du classement FIFA. Certes, c’est une mesure abstraite issue d’une formule purement mathématique. N’empêche, ça reflète par exemple le fait que la Belgique n’a plus été battue en qualifications pour la coupe du monde depuis le 14 octobre 2009 contre l’Estonie. Je sais qu’on fait dire ce qu’on veut aux chiffres, mais tout de même, derrière les formules, il y a des données.
  • La France compte dans sa sélection un grand nombre de joueurs évoluant dans les clubs les plus renommés d’Europe.
  • La Belgique aussi, dites.

Voilà pour les faits. J’ai un peu de mal à imaginer qu’on puisse les contester, mais n’oublions pas que nous vivons dans une époque où les faits ne sont que prétextes à opinions d’experts auto-proclamés.

Mise à jour du 16/6/2021

Suite à la une de l’Equipe traitant de la victoire de la France sur l’Allemagne, il y a un billet collatéral…

Comme en 18...

Le grand incendie

Début de l’Euro 2020. En 2021. C’est déjà rigolo, mais c’est valable pour tout le monde. A moins que vous n’eussiez vécu sur une exoplanète depuis mars 2020, on ne peut pas dire que tout se soit passé comme prévu récemment.

La Belgique entame son tournoi en battant la Russie par 3 but à 0, et ce à Saint-Petersbourg, donc pas à Charleroi ou à Genk. Deux buts sont inscrits par l’inévitable Romelu Lukaku, qu’on vient de désigner comme meilleur joueur du championnat italien. Et le troisième par Thomas Meunier, qui certes, ne devait pas à tout prix être sur le terrain, mais dont on peut dire qu’il était présent au moment où il le fallait.

Thomas Meunier n’est pas un imbécile avec un neurone à usage unique, un très intéressant reportage sur la RTBF nous a permis de nous en rendre compte. Il rentre en cours de match, il marque, on l’interviewe couvert de sueur après, c’est juste la règle du jeu.

Et dans son interview, Thomas se permet une phrase (voyez vers 1:57 dans la vidéo) une phrase que je tente de reproduire telle quelle :

“On est quand même numéro 1 mondial, et pour nous vaincre il faut quand même une sacrée armada.”

Wouah, agressif à mort, ça déchire, ça dénonce, ça dépote, ça dénigre. Quel culot, quelle engeance quelle audace ! On a déclenché des guerres pour moins que ça. C’est juste factuel : les Diables Rouges SONT Numéro 1 au classement Fifa, et effectivement, dans l’état actuel des choses, il est quand même assez important de disposer d’une certaine force de frappe pour les battre.

Tout ça n’a quand même pas un intérêt majeur. On est contents, pouêt pouêt pouêt, c’est la liesse urbaine, on gagné, les supporters font la fête dans la rue, bref, rien que du traditionnel.

Entrée des journalistes sportifs français dans l’arène.

Et voilà où la polémique commence. Sur le plateau de “L’Equipe TV”, une bande de chroniqueurs dans un état d’esprit dont l’ouverture semble réduite à un degré non mesurable sur l’échelle de l’espèce humaine s’offusque des propos de Meunier. Une petite déferlante de propos éclairés dont voici quelques extraits significatifs :

  • “J’ai l’impression qu’ils l’ont encore là, depuis cette défaite en demi-finale de la Coupe du monde », lâche l’animateur Olivier Ménard.
  • « Ils parlent beaucoup ces Belges, ils vont vite rentrer chez eux manger des frites », rajoute le chroniqueur Gilles Favard.
  • L’ancien joueur Johan Micoud en rajoute encore une couche : « Ils ont un énorme boulard en général les Belges ».

Jugez vous-même dans la vidéo :

…et voilà le travail…..

En guise de réponse, Thomas Meunier y est allé gentiment sur Twitter, sans pousser vraiment le bouchon très loin, mais tout en subtilité :

Ah… La Fraaaaaaance….

Maintenant que j’ai planté le contexte, je vais enfin pouvoir y mettre mon grain de sel personnel. Jubilation ostentatoire. Je pouffe.

Amis et amies de France, vous représentez environ 67 millions d’individus. De manière logique, vous représentez la francophonie. C’est indéniable. Cependant, vous apprendrez peut-être qu’il y a des francophones dans le monde qui ont une nationalité alternative, et qui ne sont pas nécessairement issus d’un processus colonialiste, même si c’est parfois échappé de justesse. Vous avez des voisins moins peuplés dont au moins une partie de la population utilise le français comme langue maternelle. Si si, je vous jure.

Je vous citerai quelques exemples :

  • La Suisse compte 8.5 millions d’habitants dont plus de 2 millions de francophones
  • Le Luxembourg compte 600.000 habitants, dont pratiquement tous pratiquent au moins le français
  • Le Belgique compte 11 millions d’habitants dont on dira que au moins 4.5 millions ont le français comme langue maternelle (mais dans l’usage on le pratique plus que ça)

Pour ces populations limitrophes, il est vraiment compliqué de pouvoir échapper à son “grand voisin”. Malgré des efforts constants et intenses, il m’est difficile d’éviter totalement les médias français. On doit considérer qu’on ne PEUT pas vous ignorer. C’est purement technique. Pour des francophones non français, vous êtes culturellement extrêmement invasifs.

Pourquoi peut-on dire qu’on ne vous aime pas ?

Quand on n’est pas francophone, on a toute liberté de vous ignorer complètement. Pour nouzautes les wallons, les romands ou les lützeburgers, c’est terriblement plus compliqué.

Je suis moi-même d’origine française par mon père. Très très “des Hauts de France”. J’ai la chance d’avoir eu un jour à accès à mon arbre généalogique, et en ligne paternelle, mes ancêtres arboraient déjà mon nom de famille du côté de la grande région lilloise au 15ème siècle. Si mon père n’avait pas choisi de venir s’établir en Belgiquie, j’y serais peut-être encore moi-même. Né à grande proximité de la frontière franco-belge et ayant même habité à quelques centaines de mètres d’un poste frontière ressemblant à s’y méprendre à celui de “Rien à Déclarer” de Danyboon et Benoît Poelvoorde (prononcez Poule-vôôôôrd’, merci pour lui), j’ai eu encore moins de possibilité que les autres de faire comme si la France n’était pas là. Elle a toujours été là dans mon existence, et ça ne risque pas vraiment de changer. Cependant je suis de l’autre côté de la frontière depuis 50 ans, et j’y suis ma foi fort bien.

Maintenant il faut que j’explicite mon titre “pourquoi on ne vous aime pas“.

Ce n’est pas qu’on n’aime pas la France et sa population, c’est qu’on ne fonctionne pas pareil entre France et Belgique. La Belgique c’est une toute petite nation hétérogène. “Un pays petit aux frontières internes, (…) on dirait même que ce sont deux pays tombés par accident dans un trou de l’histoire.”, comme chante Claude Semal. Un pays qui n’en est pas un mais qui essaie de fonctionner quand même. Un pays qui n’a pas une histoire millénaire ou un retentissement aussi étendu que la France, mais qui a essayé de faire ce qu’il avait du mieux qu’il pouvait, et qui continue vaille que vaille. En Belgique on est conscients qu’on ne représente pas grand’chose et on essaie de vivre avec ça. Petitement. Avec un peu d’humour et d’auto-dérision.

Mais de temps en temps, il arrive malgré tout que malgré l’art consommé de rendre les choses compliquées que nous cultivons avec plus de talent que les pommes de terre à chair farineuse, nous finissions par produire des choses qui tiennent un peu la route. Alors quand ça arrive, ben on est contents….. Mais on n’ose pas trop le dire. C’est qu’on serait presque gênés quand on réussit quelque chose, comme si on ne se sentait pas légitimes, comme si il fallait surtout penser au fait que ça n’allait pas durer. On peut résumer cet état d’esprit à un proverbe typiquement belge :

En Belgique, quand il y a du soleil, c’est signe qu’il va pleuvoir.

Quand tu as dit ça, tu peux t’arrêter.

A côté de ça, l’impression que l’on tend à avoir par rapport aux ressortissants français, c’est qu’à la fois on a oublié de leur greffer le chromosome de l’auto-dérision et qu’on l’a remplacé par un côté braillard”, “grande gueule” qui nous dépasse un petit peu. Et quand on mélange l’exubérance avec l’absence d’auto-dérision, on trouve le mélange est assez indigeste.

Là où le belge se demande franchement pour quelle raison on l’admirerait et vit très bien avec ça, il perçoit chez son voisin ce besoin de reconnaissance éperdu. On dirait que vous avez besoin que l’on vous admire, qu’on vous reconnaisse, qu’on souligne à quel point vous êtes grands, beaux et forts. Et ça, nous, les belges, ça nous dépasse complètement. On a aussi le sentiment qu’en France, pour que quelque chose ait de la valeur, il faut à tout prix que ça ait l’air compliqué. Ca aussi ça nous dépasse : pour vivre correctement en Belgique, il faut s’habituer à l’idée que rien n’est simple, le moindre brin de notre quotidien semble systématiquement complexifié par nos institutions incompréhensibles, nos six millions de niveaux de pouvoirs et nos éons de querelles linguistiques absconses. Alors pourquoi remettre une couche de difficulté sur des concepts simples ? Vous avez une idée du nombre de décennies de palabres qu’il faut surmonter pour prendre une décision au niveau national ? Ben nous oui. Mais quand on y arrive, ben alors, on applique et puis c’est tout, et on passe à l’obstacle suivant. C’est probablement la discipline à laquelle on est parmi les meilleurs praticiens au monde : passer à autre chose.

Alors quand un journaliste dit qu’on “doit encore l’avoir là, de cette défaite“… Ben techniquement c’est vrai, mais ça ne l’est que parce que les français nous la rappellent constamment, à grand coups d’œillades goguenardes, de rires gras et de tapes sur les cuisses. On est passé depuis longtemps à autre chose…. Mais vous pas. On sent un culte de la graaaaaaaandeur, un besoin de mettre ses exploits en avant pour qu’on s’en rappelle dans des siècles encore. C’est fatigant, extrêmement fatigant.

Notre “énorme boulard”…

Ca aussi pour des belges c’est consternant à entendre (outre le fait que c’est un terme argotique qui doit être fort peu d’usage ici). Ca sous-tendrait que les belges sont des vantards qui passent leur temps à se remémorer leur grandeur et à éclabousser le monde de leurs exceptionnelles réussites ? OK, soit. On vivra bien avec l’idée. C’est très drôle en fait. La Belgique du football n’a jamais rien gagné, et c’est peut-être la seule occasion qu’ils ont encore de pouvoir le faire, car les conditions n’ont jamais été meilleures. Objectivement les Diables Rouges ont une chance et se préparent juste à l’idée que pour une fois c’est possible. C’est envisageable. Mais si ça marche pas, tant pis, on n’est plus à ça près. Par contre si ça marche… Chouette, on va faire la fête. Et puis on passera à autre chose, comme une petite croix dans l’agenda qui nous permettra de nous rappeler qu’on a pour une fois accompli un truc sympa, mais ça ne changera pas le goût des frites, et on a d’autres choses plus importantes à penser.

La France a déjà gagné deux coupes du monde et deux euros, mais ces journalistes se comportent avec dédain et condescendance comme si leur vie en était menacée, et ces gens braillent et gouaillent avec force postillons méprisants, et c’est cette image qui est véhiculée à l’extérieur des frontières. En temps ordinaire ça n’impacte que les francophones qui ne peuvent pas échapper à vos médias, mais là, plein d’autres pays sont focalisés sur l’événement, et chers gens de France, vos représentants vous rendent insupportables globalement. Sachez-le.

Tout improbable que cela puisse vous paraître, dans plusieurs pays, on a fans de foot qui se déclarent supporters de deux catégories : leur pays s’il est présent à la coupe d’Europe, et ensuite… Tous les adversaires de la France. Pare que oui, globalement, on veut vous voir PERDRE. Pas parce que vous être FORTS (vous l’êtes, c’est objectif et indiscutable, sportivement, votre statut de favori de la compétition n’est en rien usurpé !) mais parce qu’on a envie de vous voir déchanter, de vous voir déconfits, défaits. Et ce n’est pas de la méchanceté ou du sadisme, c’est pour AVOIR LA PAIX !!!

Sachez que la Belgique est coincée entre la France et l’Allemagne. En terme de palmarès international dans le football, l’Allemagne pèse un peu plus lourd que le France. En 50 ans d’existence, j’en ai vu des victoires de l’Allemagne (et je ne parle pas de cette demi-finale de la coupe du monde 1982 où franchement j’étais à fond derrière Platini et ses potes !), mais je n’ai jamais souhaité à tout prix une défaite des Allemands pour le seul plaisir jubilatoire de les voir défaits. Quand ils ont été humiliés à la dernière coupe du monde, j’ai eu mal au cul pour eux.

Mais à côté de ça, oui, à la coupe du monde de 2002, j’ai jubilé jusqu’au fond de mon slip quand le Sénégal vous a planté en ouverture du mondial. Parce que vous sortiez de deux retentissantes victoires consécutives, et qu’on n’aime pas les gens qui sont des “mauvais gagnants”. Car il n’y a pas que les mauvais perdants, il y a aussi les “mauvais gagnants”, à qui il ne suffit pas de remporter une victoire, mais qui aiment en tirer un prétexte sans cesse martelé pour nourrir leur égo.

Le triomphe modeste ça existe, je vous assure.

Conclusion

A l’heure de publier ces lignes, la France n’a pas encore joué dans cet Euro, mais a déjà réussi à faire parler d’elle plus que de raison. Ce soir c’est le choc contre l’Allemagne. Alors oui, je le dis, je supporterai les Allemands. Ensuite ça dépendra. Soit la pression redescendra suite à une neutralisation, une défaite ou une victoire au mérite au triomphe modeste… Soit je me sentirai hongrois ou portugais de coeur pour la suite des événements. Et mes origines n’y changeront rien.

En attendant que le meilleur gagne. Et que le plus braillard se fasse un peu bâillonner.

Quel qu’il soit.

3 réponses
  1. Marc-Olivier Becks
    Marc-Olivier Becks dit :

    Alors là, Régis, chapeau!
    Tu as exprimé de manière parfaitement claire tout mon ressenti sur la question (et j’ai de la famille française, du côté de mon cousin Jean-François que tu connais).
    En fait, on ne veut même pas que la France perde, on veut juste qu’elle ne gagne pas, car toute victoire française signifie matraquage durant une bonne dizaine d’années. On veut juste avoir la paix.

  2. Michel Gerbehaye
    Michel Gerbehaye dit :

    Bravo pour ce texte vraiment trop bien écrit et qui représente tellement le sentiment que les Belges peuvent avoir

    Michel qui habite et travaille en France et qui doit se les coltiner tous les jours depuis 35 ans

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