Une bonne guerre

Parce qu’il faut bien définir une catégorie qui reprend les thèmes qu’on n’a pas su classer ailleurs… Chroniques ou délires inclassables, voici le tiroir sans étiquette ni poignée…

Combien de fois ne me suis-je pas moqué de cette scie que j’ai entendu prononcer, dans mon enfance, d’une manière plus ou moins sérieuse par des gens ayant plus ou moins connu cette sombre période…

Il leur faudrait une bonne guerre à ces sales jeunes !

Ils ont tout, ils ne savent pas ce que c’est que d’être privés de tout !

Répartie d’une indicible médiocrité, rabâchée cent fois à mes oreilles de gamin gâté pourri, cette sentence exténuante était le prétexte à tout pour justifier, me semblait-il, l’incompréhension de mes aînés d’ailleurs envers toute la jeunesse que je représentais. Tu n’es pas content ? On voit bien que tu n’as pas connu la guerre !

C’était les années 70, voire même 80. Aujourd’hui, j’ai passé la moitié de mon quadragénat, et force m’est de constater que trente ans minimum plus tard, la guerre, je ne l’ai toujours pas connue. Pas plus que tous ceux qui sont nés depuis. Et ceux qui ont connu la guerre autour de moi, il se font de plus en plus rares.

Les très tristes actualités qui défilent ces temps-ci sur nos écrans font remonter cette phrase moisie à la surface de mon questionnement. Médiocre, certes, mais pas dénuée de bon sens. Je ne souhaite la guerre à personne, surtout à moi. Et c’est bien comme ça. Mais à y bien réfléchir, la guerre, dans nos contrées, ça fait quand même presque 73 ans qu’il n’y en a pas eu. Oui oui, comptez comme vous voulez, pas la moindre petite guerre depuis 1944 à se mettre sous la dent. Essayez un peu de trouver une autre période de l’histoire où on n’a pas connu de guerre en Europe occidentale pendant autant de temps ? Ah, on fait le moins le malin, maintenant ! Probablement, ni l’écriture ni même l’Homo Sapiens n’avaient été inventés.

Toujours est-il que personne, absolument personne dans l’histoire ne peut se vanter d’avoir connu une telle période sans bellicisme. A défaut d’éduquer, la guerre, ça peut au moins faire réfléchir. Et c’est ce qu’on fait, au sortir de 1945, les gens qui ont décidé de construire l’Europe. Car oui, c’est mon point de vue à moi tout seul, si on n’a plus de guerre chez nous, c’est grâce à la construction Européenne, qui a forcé pour une fois des centaines de millions d’humains à essayer de se rassembler dans un projet commun, même s’il consistait seulement à ne plus se trucider.

Or, c’est quoi, la guerre, à part vouloir supprimer l’Autre ? Ah, l’autre, cet espèce d’entité détestable, qui n’est pas comme nous et qui est la dénominateur commun de tous nos maux ! L’autre, celui auquel on ne peut (ou surtout ne veut) pas s’identifier. L’autre, qui a des habitudes bizarre, qui ne pense pas comme nous, qui menace nos petites habitudes. L’autre, perfide ectoplasme sans qui on serait vraiment bien entre nous.

L’Europe, c’est pourri, c’est une construction complètement bancale, comme si on avait voulu construire un bateau pirate Playmobil avec des Legos et des Barbies, alors que c’est des Action Man qui jouent avec. (*) Ca marche pas, ça colle pas, ça craque de partout. Mais ça a le mérite d’exister. On a des gens qui ont essayé et qui essaient encore de faire des trucs avec les Autres !!! Concept hallucinant qui paraîtrait probablement le summum de l’absurdie à tout visiteur du passé qui serait parachuté dans notre époque.

Mais l’humain a certaines particularités. Il oublie. La fonction crée l’organe, et le manque de fonction l’atrophie. Plus de guerre, ça apporte du confort ; le confort apporte l’oisiveté, l’ennui, la passivité, la facilité. On oublie. On oublie d’où on vient, car l’horizon qui permettrait une quelconque comparaison n’est plus là. Ceux qui n’ont connu que la paix et rien d’autre, et ce depuis des générations, sont totalement engourdis dans leur petit confort et dans leur petite bulle personnelle. Se souvenir, comme réfléchir, ça demande un effort, et malheureusement, la plupart des êtres humains n’ont aucun goût pour l’effort.

Comme on n’a plus d’ennemi et que les échelles de la souffrance humaine ont été totalement et irrémédiablement réévaluées, on fini par se re-créer un ennemi et des souffrances. Et pour canalyser cela, heureusement, on a toujours la plus parfaite des cibles : les Autres. Ceux qui continuent à être différents parce qu’ils ne sont pas comme nous. Pouah. Reurgh. Vilains Autres qu’on ne comprend pas mieux qu’avant.

Pas mieux qu’avant ? Pas sûr. Il y a 100 ans, l’Allemand était certainement perçu comme une sorte d’extraterrestre pour un Belge ou un Français moyen (**) Un sale boche avide de poudre et de conquête de frontières. Aujourd’hui, certes il parle toujours allemand, mais j’ai tendance à croire qu’il est communément au pire considéré comme le voisin qui gagne plus que nous et qu’on conspue parce que son sapin nous bouche la vue sur la campagne environnante, mais qui reste finalement du même village et qu’on est donc bien obligé d’accepter. Il est un peu moins “autre” qu’avant, l’allemand. Beaucoup moins, même, vu que finalement on achète ses voitures, ou ses tartines dans ses supermarchés low cost en quatre majuscules. Et l’Italien alors ? Tu sais, ce macaroni qu’on a fait venir pour extraire feu notre charbon des mines où on ne voulait plus aller ? Ben non, c’est plus vraiment un autre l’italien, sans lui on n’aurait pas la pizza, la lasagne, Adamo et la Fiat 500. Non, c’est plus franchement un autre, sauf quand il vient klaxonner dans les rues quand “son” équipe nationale gagne au football ; là, curieusement, il redevient un autre, mais ça ne dure qu’une troisième mi-temps…

L’autre, on va déjà le chercher plus loin… Et donc, finalement, inconsciemment, quoi qu’on en dise, l’Europe a ce mérite d’avoir éloigné la perception des frontières de l’autre. L’AutreMonde est plus loin qu’avant…

Mais des Autres, il y en a tant qu’on veut. Tant qu’ils ne sont pas chez nous, on peut se permettre de ne pas s’en occuper, mais quand il vient CHEZ NOUS, oulà, c’est de la provoc ! Ca y est, on cherche la guerre à mon petit confort. Vade retro, autre, repars d’où tu viens ! T’écouter ? Pourquoi faire ? Pour réfléchir ? Et puis quoi encore ? Ca fait mal, réfléchir.

La haine de l’autre, voilà ce qui n’a pas changé. Et comme on n’a plus de guerre, on va cristalliser sa médiocrité sur ce qu’on ne comprend pas. Nous vivons dans un monde où tout le monde pense, mais peu réfléchissent. Ou on entend, en écoutant pratiquement pas. La mémoire s’atrophie ; à l’heure où les capacités de mémoire du moindre smartphone sont à une galaxie de ce que pouvait faire une règle à calcul, on s’en sert pour publier des photos de chat ou pour se plaindre de l’arbitrage d’un match de foot… Les humains sont de plus en plus nombreux, mais on dirait que le bon sens a été quantifié une bonne fois pour toutes il y a des millions d’années et que l’expansion de l’espère humaine n’a fait que l’étaler, comme une cuillère de confiture sur une tartine qui ne cesse de grandir à chaque seconde.

Et ces esprits tout petits accouchent quand même d’opportunistes improbables, qui parviennent à convaincre les plus perméables que leurs tout petits maux sont toujours causés par les Autres. Dénonçons-les, abominables Autres. Etrangers même pas de chez nous. Europe absconse qui nous brime et nous prend tout. Réfugiés cupides. Tiens, parlons-en des réfugiés ; comme on ne sait plus ce que c’est que la guerre, on est bien en peine de se rendre que dans bien des cas, eux, ils savent encore ce que c’est. Car la guerre, elle, est un concept qui n’a pas disparu, et qui n’est pas prêt de s’éteindre.

Sans guerre je m’endors dans le doux confort de ma démocratie que je hais, mais qui protège ce que je sais faire de mieux. Me plaindre. Faire savoir grâce à la combinaison hallucinante de la démocratie et de la technologie que mon mal-être est digne d’intérêt. Au point de dénigrer tout ce qui a pu amener à cette liberté de râler et de prendre fait et cause pour des imbéciles qui pensent à ma place, promettent sans argumentaire de résoudre les problèmes que je n’ai pas avec des moyens qu’ils n’obtiendront jamais.

Mais le pouvoir ils peuvent l’obtenir, râleurs véhéments et nombrilistes. Et quand il l’auront, nous seulement vous aurez la possibilité de vous rendre compte SANS MEME REFLECHIR, que vous ne l’avez plus, votre liberté de râler. Qu’on vous l’a arrachée. Et là vous en aurez des problèmes. Des vrais. Et contraints et forcés de réfléchir, vous trouverez une solution. Qui aura encore toutes les chances de passer par une guerre.

Qui finira.
Qui remettra les choses en place.
Et qui permettra à la génération suivante, apaisée, de dire qu’il vous faudrait une bonne guerre.

Petits esprits fachisants, je me vous conchie, je vous emmerde, je vous recouvre totalement de l’excrément de mon mépris, mais je me dis finalement que je suis content de vous lire. Car je préfère subir votre bêtise dans un espace de liberté que de vivre sous la botte autoritaire d’un pouvoir inhumain.

(*) J’assume entièrement à la fois les références datées pour les jouets sous copyright ainsi que le rejet de préposition

(**) Belge moyen ou Français moyen, dans les deux cas, je ne sais pas si l’expression relève plutôt du pléonasme ou de l’oxymore.

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